Personne passée à une autre ligne d'évasion

Fiche crée le 15 avril 2016.

David Ronald BRADLEY / 1377851 & 160870
New Maldon, Surrey, Grande-Bretagne
Né en 1922 à Kingston, Surrey, Grande-Bretagne / † ?
F/Lt, RAF Bomber Command 35 Squadron, opérateur radio/mitrailleur
près de Villers-Devant-le-Thour, Aisne, France.
Handley Page Halifax BII Serial W7873 (TL-M),abattu par la Flak lors de la mission sur les usines SKODA à Pilsen, Tchécoslovaquie, dans la nuit du 15 au 16 avril 1943.
Ecrasé près de Liesse-Notre-Dame, dans l’Aisne à environ 15 km au Nord-Est de Laon, France.
Durée : 2 mois.
Passage des Pyrénées : vers la mi-juin 1943.
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Informations complémentaires :

Rapport d’évasion SPG 3313/1252.

Le Halifax décolle de Graveley à 21h16. C’est la 27ème mission de l’équipage. Soudain, vers 22h50 à une altitude de 5000 m, l’appareil est touché violemment, une forte explosion le propulse en hauteur et un incendie se déclare dans l’aile gauche. L’avion se met en vrille et perd rapidement de l’altitude avant de se mettre en plané et puis piquer vers le sol.

David Bradley, dont c’est la 27ème mission, et le mécanicien William Allen seront les seuls à pouvoir s’évader. Le pilote F/Lt Wyndham Rydhian Owen sera fait prisonnier - Stalag Luft 3 - PoW N° 1272. Les quatre autres perdront la vie dans le crash de l’appareil : le navigateur P/O George Cruickshank, le bombardier F/Sgt John Reid Martyn - RCAF, le mitrailleur F/Sgt Cyril Bourne et le mitrailleur arrière Sgt Joseph William Young. Ils reposent tous au cimetière communal de Liesse, non loin du lieu du crash.

Longtemps après la guerre, David Bradley a relaté son parcours militaire et ses souvenirs de son évasion dans un texte "The Pink Tape" qu’il n’avait jamais publié. Son ami, Mervin Brown l’a reproduit sur le site http://www.wartimememoriesproject.com/ww2/view.php?uid=209069. Beaucoup de détails qui y figurent sont repris ci-dessous, mais malheureusement il manque la plupart du temps de noms, de lieux et de dates précises.

Dans l’avion en perdition, William Allen pousse Bradley à travers la trappe d’évacuation et saute immédiatement derrière lui. Bradley ouvre son parachute sans tarder et aperçoit leur Halifax dans un piqué très rapide avant son explosion au sol. Il atterrit dans un champ et, se relevant, il est rejoint par son mécanicien William "Bill" Allen.

Les deux hommes se débarrassent de leurs parachutes et harnais qu’ils dissimulent sous des buissons au bord du champ puis se mettent à marcher vers l’Ouest en direction de Paris. Ils atteignent un village et trouvent une église. La porte étant fermée, ils vont s’abriter dans le cimetière attenant où ils s’assoupissent. A leur réveil, vers 9h00 du matin, une dame âgée se dirige vers une tombe sans les apercevoir. Bradley, qui parle un peu français l’approche prudemment et lui déclare que lui et son compagnon sont des aviateurs anglais. Apeurée, elle leur dit que la région grouille d’allemands, qu’elle ne peut les aider et, avant de les quitter, leur promet de ne pas les dénoncer.

Ils restent cachés dans le cimetière et voient alors apparaître un prêtre, assez âgé, qui entre dans l’église. Ils se décident à aller lui parler et l’ecclésiastique leur recommande de ne pas bouger et d’attendre son retour. Une heure plus tard, le prêtre revient et leur donne des couvertures, du pain, du fromage, du poulet froid et du vin rouge. Il leur apprend qu’ils se trouvent à Villers-Devant-le-Thour et emporte leurs vêtements humides qu’il leur rapporte secs vers 23h00 accompagné d’un jeune homme, prénommé "Pierre".

"Pierre" leur apprend que les Allemands ont fouillé le village dans la journée et qu’ils sont à présent partis. Il leur donne du pain et du fromage et une bouteille de vin pour chacun. Les deux aviateurs, avisés du danger que tous courent, décident de poursuivre leur chemin et montrant une carte d’évasion, demandent la meilleure direction à suivre. "Pierre" étudie la carte et leur recommande de se diriger vers La Malmaison, à une dizaine de km de distance, où il n’y a pas de garnison allemande et où ils pourraient rencontrer des membres d’une organisation de la Résistance. "Pierre" insiste pour qu’ils partent à minuit et qu’ils ne dévoilent à personne quoi que ce soit de leurs contacts, ce dont les évadés les assurent.

Bradley et Allen se mettent en route et, s’arrêtant pendant 5 minutes à chaque heure, c’est à l’aube qu’ils atteignent la limite de La Malmaison. Ils traversent deux champs et vont se cacher dans un bois à 1,5 km de la route. Ils s’y restaurent puis se reposent avant d’être réveillés par le bruit d’un véhicule allemand sur la route. A minuit, ils se dirigent vers le village et après 45 minutes, ils aperçoivent une ferme au bord de la route juste à l’entrée de La Malmaison. Ils vont se réfugier dans la grange pour la nuit et au matin du 18 avril, Bradley se présente à la ferme et déclare à l’homme assez âgé qui lui ouvre la porte qu’il est un aviateur de la RAF descendu deux nuits auparavant.

Les fermiers, Mr PONDIN et son épouse, accueillent les deux hommes à bras ouverts. Les PONDIN expliquent que leurs deux fils avaient servi dans l’Armée de l’Air française et se trouvaient en Belgique comme travailleurs forcés. Après un bon repas et un bain, les deux hommes se reposent à l’étage jusqu’au soir 22h00. On leur apporte des vêtements civils et on leur apprend que leurs uniformes ont été brûlés et que le contenu de leurs poches a été soigneusement conservé. Lorsqu’ils descendent dans la cuisine, ils voient deux hommes âgés qui se présentent comme "Gavin et Lubeck". Tous se mettent à table pour le repas et, à la demande de PONDIN, Bradley raconte l’histoire de ces derniers jours.

Plus tard, des gens arrivent à la ferme, invités par les PONDIN pour fêter l’événement, la fête se terminant à 02h00 de la nuit. Le 19 au matin, PONDIN fait irruption dans la cuisine où ils terminaient leur petit déjeuner et leur dit qu’ils doivent immédiatement le suivre car il a été prévenu par un gendarme que les Allemands vont fouiller tout le village. PONDIN les guide vers un bois a environ 2 km, leur dit de ne pas en sortir et qu’il viendra les voir plus tard lorsque tout danger sera passé.

Les deux évadés reçoivent de temps en temps la visite de l’un ou l’autre villageois qui leur disent que les Allemands fouillent toutes les maisons à la recherche de deux aviateurs anglais. Ce n’est qu’à la nuit tombante que l’on vient les chercher pour les mener au village dans la maison d’un "Mr DERSO" (DERSEAUX ?) Ils ne reverront plus les PONDIN.

"DERSO" leur dit qu’ils partiront le lendemain matin et effectivement après le petit déjeuner, il leur apporte des vélos et deux valises contenant du savon, des rasoirs et des vêtements de rechange. Il prend congé d’eux en leur disant seulement de suivre leur guide à vélo. Les trois hommes pédalent pendant près de deux heures et arrivent à un village dans les rues duquel des soldats allemands se promènent. Le guide les conduit vers une petite maison en face de la gare. [Le village en question pourrait être Amifontaine, au sud-ouest de La Malmaison, car la page consacrée au Halifax W7873 sur le site de notre ami Daniel CARVILLE - http://francecrashes39-45.net/page_fiche_av.php?id=650 - mentionne que Bradley "et William Allen ont été hébergés par Mr ZIGAN, Mme LEROUX, d’Amifontaine - puis par Mr CHAPELET jusqu’à Tergnier", malheureusement sans précision de date.] La liste des Helpers français reprend Robert ZIGAN à La Malmaison, Mme Marcelle LEROUX à Amifontaine et Julien CHAPELET à Saint-Erme-Outre-et-Ramecourt.

Le propriétaire de la maison, Paul CONSTANT, un homme petit, d’environ 40 ans, les cheveux très noirs, les accueille chaleureusement et leur dit que, bien que le village ait une garnison allemande (ce qui pourrait indiquer par ailleurs que la localité soit Saint-Erme-Outre-et-Ramecourt ou bien Sissonne même, au nord-ouest de La Malmaison ?), le commandant, le général "von Uttner" est devenu un ami et lui rend souvent visite. Il ajoute que ce général est anti-Hitler et anti-guerre et que les deux évadés n’ont aucun souci à se faire s’ils le rencontrent chez lui.

Bradley et Allen sont bien obligés de faire confiance et logent dans des chambres séparées pendant deux jours. De la fenêtre de la maison, ils peuvent voir les départs et arrivées de trains, de même que de nombreux soldats allemands dans la rue. Au matin du troisième jour, Paul CONSTANT annonce que le général "von Uttner" passera dans la soirée. Effectivement, le commandant de la garnison arrive en voiture avec chauffeur et Paul CONSTANT fait les présentations. Le militaire parle parfaitement l’anglais et Allen peut ainsi suivre directement la conversation. Le général leur déclare qu’ils n’ont aucun souci à se faire, confirme ses convictions par rapport à Hitler et l’évolution de la guerre et leur conseille d’éviter tout contact avec la Gestapo. Selon le récit de Bradley, le général avait été élevé en Angleterre, était diplômé d’Oxford, s’était engagé comme candidat officier dans la Wehrmacht en 1937 et avait participé à l’invasion de la Pologne, avant de rejoindre les forces d’occupation aux Pays-Bas et maintenant en France. Bradley et Allen s’entendent dire qu’il ne peut rien faire pour les aider, mais qu’il ne fera rien non plus pour leur créer des problèmes, ajoutant qu’ils ne doivent en aucun cas parler de leur rencontre à qui que ce soit. La soirée se poursuit et se termine avec le départ du général aux petites heures du matin.

Au matin, Paul CONSTANT les quitte momentanément et revient avant midi en leur disant de préparer leurs affaires immédiatement en vue de leur départ avec lui en bus pour la ville de Laon. Paul leur donne la marche à suivre une fois arrivés à Laon, leur dit d’ignorer sa présence dans le bus et prend congé d’eux avant le démarrage du véhicule. Arrivés à destination, Bradley et Allen suivent CONSTANT et après une courte marche arrivent devant une maison. CONSTANT ne dit mot, leur fait un signe et ouvre la porte, monte à l’étage et frappe à une porte marquée "B". Aucune réponse, pas plus qu’après une deuxième tentative, après laquelle Paul s’en va. L’inquiétude des évadés est levée lorsqu’une voix de l’intérieur leur dit "Entrez" avant que la porte ne s’entrouvre pour découvrir un homme d’âge moyen, un pistolet à la main et qui les fait entrer dans une pièce garnie seulement d’une table, de quatre chaises et d’un tapis usé jusqu’à la corde.

L’homme leur demande leurs noms, le nom de celui qui les a amenés (Paul) et le nom du village où ils se trouvaient avant de rencontrer Paul (La Malmaison). Satisfait, l’homme dépose son pistolet sur la table et se présente, leur demandant de simplement l’appeler SERAGLIO et leur disant qu’un certain MANSER (dont SERAGLIO dit que tout le monde croit que c’est un collaborateur, mais "c’est un des nôtres"…) viendrait les chercher en voiture dans la soirée pour les conduire dans un autre endroit, l’obligation pour eux de bouger étant de la première importance vu le danger d’arrestation.

Dans la soirée, MANSER, un home courtaud, la soixantaine, ne s’adresse en a parte qu’à SERAGLIO avant que celui-ci, d’une tape dans le dos, dise au revoir aux aviateurs, qui suivent alors MANSER vers une vieille Renault parquée dans la rue. On roule en silence et, dans la campagne, MANSER ralentit et dit aux évadés de se tapir au sol, expliquant qu’une voiture d’Etat-Major allemand est stationnée un peu plus loin. Bradley et Allen, inquiets, s’exécutent, entendent MANSER couper le moteur, sortir de la voiture, parler à quelqu’un avant que l’on ouvre le coffre pour en sortir quelque chose. Leur attente dure un quart d’heure avant que le coffre soit refermé et que MANSER se remette au volant. Il leur déclare en riant qu’il s’agissait simplement de la voiture du commandant de garnison qui avait besoin d’une pompe pour regonfler un pneu.

MANSER reprend la conduite et n’interrompt le silence pesant que pour leur dire qu’ils arriveront bientôt à une petite gare de chemin de fer où il leur achètera des tickets, ensuite de quoi une dame portant un chapeau rouge les guidera vers le train. Il ajoute qu’ils devront s’asseoir dans le même compartiment qu’elle, ne pas lui adresser la parole et la suivre lorsqu’elle descendra du train.

Arrivés à la gare, tout se passe comme annoncé et après le départ de MANSER, Bradley et Allen attendent sur le quai près de la dame au chapeau rouge. Le train pour Reims arrive vingt minutes plus tard et la dame monte dans le dernier compartiment. Les deux hommes s’installent en face d’elle et Bradley remarque que la dame porte une cicatrice sur la joue droite. Le voyage se passe en silence et les évadés suivent "Red Hat" jusqu’à la sortie de la gare où elle leur déclare s’appeler "Renée", précisant que ce n’est pas son vrai nom. Elle leur montre un homme à quelques mètres d’eux, et avant de les quitter, elle leur dit qu’il s’appelle MENTO et que c’est lui qui va les prendre en charge.

MENTO, béret noir, petite moustache noire, bedonnant, leur fait signe de le suivre. Le trio marche dans la ville animée et MENTO les mène à un café à l’air plutôt louche. Les trois hommes s’attablent et MENTO fait les recommandations habituelles, notamment de se méfier de la Gestapo en uniformes noirs, avant qu’un homme sorte de derrière le comptoir pour les rejoindre. MENTO le présente comme "Georges", un ami, et les quatre hommes vident deux bouteilles de vin, une troisième étant apportée à Bradley et Allen pour les faire patienter tant que MENTO et "Georges" vont discuter seuls à l’étage.

Un homme s’approche alors d’eux et se présente en anglais comme étant "Raoul", ami des deux autres et, comme tous les autres clients de l’établissement, membres de la même organisation. On leur dit que treize ou quatorze évadés de la RAF étaient déjà passés par ce bistrot depuis le début de l’année. "Georges" et MENTO reviennent près d’eux et MENTO prend congé, "Georges" leur disant qu’ils devraient loger là la nuit avant leur départ le lendemain. La soirée est bien arrosée et c’est assez groggy que les deux aviateurs vont se coucher.

A leur réveil - pénible - le lendemain, "Georges" leur apporte deux chemises et des sous-vêtements de rechange, trois paires de chaussettes chacun, un rasoir un essuie et du savon et leur apprend par la suite qu’ils partiront pour Paris le même jour vers 14h00. Après le repas de midi à la terrasse du café, "Georges" leur dit de monter dans leur chambre où quelqu’un viendra sous peu les chercher.

Peu après 14h00 "Georges" leur présente "Leslie" [Leslie de Bizien], une femme petite, d’âge moyen, aux cheveux coupés à la garçonne et, parlant parfaitement anglais, elle leur dit qu’elle sera leur guide jusqu’à Paris. Bradley et Allen emportent leur valise et marchent aux côtés de "Leslie" jusqu’à la gare de Reims. Elle leur indique qu’ils voyageront en 1ère classe et ne devront parler à personne, même pas à elle.

Arrivés à Paris, ils suivent "Leslie" jusqu’à une gare de métro où elle achète des tickets avant de monter à bord d’une rame qui les mène à la station "Montmartre". De là, le trio marche pendant une dizaine de minutes jusqu’à un petit bloc d’appartements. Au premier étage, "Leslie" les fait entrer dans un appartement où elle rompt son long silence pour leur dire qu’elle va les présenter à "la comtesse". Il s’agit de la comtesse Hélène de BIZIEN, que selon Bradley, Leslie appelle Mimi. On demande à Bradley de raconter leurs péripéties depuis leur atterrissage et à la mention de "von Uttner", la comtesse dit qu’elle le connaît et l’apprécie comme étant un homme très courageux ayant apporté son aide à l’occasion à l’organisation.

Lors du repas du soir, Mimi explique qu’elle a beaucoup d’amis influents dans la société civile et même dans l’armée allemande. Elle recommande à Bradley de ne plus dorénavant parler que le français avec elle et d’autres de manière à encore parfaire sa connaissance de la langue et augmenter leurs chances de réussir leur évasion. Elle leur évoque qu’ils pourront peut-être rencontrer un officier supérieur de la RAF le lendemain et que sa femme de chambre, Tiana, également digne de confiance, leur apportera le petit déjeuner au matin.

Vers 10h00 le lendemain, Tiana, environ 16 ans, assez jolie, toujours souriante, leur apporte le breakfast et vers 11h00 la comtesse commence à donner des cours de français à Bradley selon le programme qu’elle a décidé pour lui. Après le repas de midi, Leslie arrive, accompagnée d’un homme d’environ 35 ans, grand, moustache noire, que Bradley reconnaît immédiatement. Il s’agit du Group Captain John Whitley, ancien commandant la première base opérationnelle de Bradley et Allen à Linton-on-Ouse dans le Yorkshire. [Selon Oliver Clutton-Brock dans son livre RAF Evaders, ce serait chez Aimable FOUQUEREL, au n° 10 de la Rue Oudinot, VIIe, que le 4 mai 1943, Whitley, de même que Malcolm Strange, Maurice Davies et William Laws, auraient rencontré Bradley et Allen, avant que ceux-ci ne soient placés ailleurs dans l’après-midi, après une visite de "Paul" (Frédéric DEJONGH)… Dans son récit, Bradley confirme que leur rencontre sera de très courte durée, le Group Captain Whitley devant partir le jour même… Ce qui nous situe vers le 7 mai.]

Bradley et Allen restent loger chez la comtesse pendant trois semaines avant d’être guidés un jour par Leslie vers l’appartement du Docteur Jules TINEL, au "Boulevard Haussmann, une artère principale menant à l’Arc de Triomphe" (selon Bradley, mais en fait les TINEL habitaient au 254 Boulevard Saint-Germain dans le VIIe. Il cite "Paul" comme étant le fils du docteur et de sa femme, alors qu’il s’agit en fait de Jacques TINEL, âgé de 23 ans et qui sera arrêté par la suite pour mourir au camp de Dora le 19 décembre 1943).

Un photographe passe chez les TINEL pour prendre Bradley et Allen en photo et quatre jours après leur arrivée arrive une jeune dame, nommée PLATISSE selon Bradley, qui leur apporte des faux papiers dont elle leur explique les différences, leur recommandant, en cas de contrôle, de simplement les donner tous au demandeur. La connaissance du français de Bradley étant jugée maintenant suffisante, on l’autorise à se promener au dehors l’après-midi avec Allen, les deux hommes appréciant de pouvoir enfin se dégourdir les jambes après leur long cloisonnement. A leur retour, Jules TINEL leur dit qu’ils pourront aller prendre un verre dans la soirée avec (Paul) Jacques. C’est le début d’une série de promenades que risquent les deux hommes, faisant usage du métro, Bradley pratiquant la langue de Molière sans problème, même lorsqu’il est abordé par des officiers allemands.

Un soir, à leur retour à l’appartement des TINEL, la femme du médecin leur présente deux aviateurs de la RAF amenés chez elle par PLATISSE, deux sergents abattus deux semaines auparavant près de Calais dans leur Lancaster et identifiés seulement dans le récit de Bradley comme "Bernard et Robin" (Bernard Marion et William Robert Laws ?).

"Bernard et Robin" sont rapidement évacués, Bradley et Allen devant encore attendre une semaine. Un soir, (Paul) Jacques arrive précipitamment et leur dit qu’il y eu un changement dans les plans, qu’ils doivent faire immédiatement leurs bagages en vue d’un long voyage en train. Jacques les conduit à la gare où il leur indique "Pierre", un homme dans le hall qui leur a acheté des tickets et sera leur nouveau guide. Jacques les quitte et Bradley et Allen s’approchent de "Pierre" qui leur apprend que leur destination est Toulouse et qu’ils doivent le suivre sans lui adresser la parole.

A l’arrêt à la gare d’Orléans, les deux hommes sont contrôlés par des officiers de la Gestapo montés à bord du convoi, mais tout se passe bien, Bradley ayant été contrôlé en premier, l’officier n’insistant donc pas au vu des papiers d’Allen. Arrivés finalement à Toulouse après 19 heures de voyage, Pierre les mène vers un bateau-maison nommé "Maison Cher", amarré le long de la Garonne, à bord duquel ils sont accueillis par "Henri", le propriétaire, la soixantaine, solide, basané, cheveux blancs comme neige. Dans la soirée, les quatre hommes sont rejoints par des amis de "Henri" et les deux aviateurs passent ensuite la nuit dans une petite cabine.

Le lendemain, un dimanche, "Pierre" retourne vers Paris et "Henri", catholique, accepte que Bradley, membre de la Church of England, l’accompagne à la messe. Après le service, "Henri" lui présente le curé, le Père GELNE, petit, pâlot, assez âgé et portant une courte barbe blanche. De retour au bateau, "Henri" propose aux évadés de se baigner dans la rivière, ce que seul Bradley fait, Allen ne sachant pas nager. Après le repas de midi, "Henri" les mène à un bistrot le long de la rive et au retour ils rencontrent "Marcel", un gendarme ami de "Henri" qui partage le souper avec eux. Au cours de la soirée, Bradley demande à "Henri" de lui montrer une carte de France et de lui indiquer la meilleure direction à prendre pour la suite des opérations. Après réflexion, "Henri" recommande de se diriger vers Saint-Jean-de-Luz, vu que trois évadés passés avant eux par Toulouse étaient passés par là, bien qu’il existât plusieurs autres points de passage vers l’Espagne.

Après quelques jours, "Maurice", un homme d’âge moyen arrive au bateau et se présente comme étant leur guide pour l’étape suivante. "Henri" et "Maurice" leur annoncent qu’ils partiront en train pour Foix et que le passage vers l’Espagne se ferait en fait via la principauté d’Andorre. "Maurice" prend alors la mesure de leurs pieds et revient par la suite avec deux paires de bottes spécialement faites pour eux, recommandant aux aviateurs de les mettre dans leurs valises et de ne les enfiler que lorsqu’il le dira lors du passage des montagnes.

Bradley et Allen prennent congé de "Henri" et sont guidés par "Maurice" vers la gare où ils montent dans le train à destination de Foix. Arrivés dans cette ville, "Maurice" les mène à un petit hôtel et leur présente le propriétaire, Mr MOULIN, qui ne parle pas anglais et auquel "Maurice" donne une somme d’argent. Il montre leur chambre aux aviateurs et leur dit d’y attendre son retour, un repas leur étant servi entretemps.

Dans son récit, Bradley mentionne qu’avant le retour de "Maurice", un homme fait irruption dans leur chambre. Grand, maigre, avec une moustache à la Hitler, il se présente comme un officier de la France de Vichy et qu’il vient les voir ayant été alerté par un gendarme ayant contrôlé leurs papiers dans le train. Bradley peut répondre aux questions pointues de l’individu mais devant le silence de Bill aux mêmes questions, la situation devient critique et Bradley avoue qu’ils sont de la RAF et qu’ils tentent de rejoindre l’Espagne. Là-dessus, l’homme, sortant un revolver, déclare qu’il se voit obligé de les arrêter et de les accompagner au bureau de police. Bradley raconte alors par le détail comment il a pu finalement se débarrasser de l’homme dont il tranche la veine jugulaire à l’aide du côté tranchant d’une cruche qu’il avait fracassée en un éclair contre le marbre de la cheminée. Allen l’achève par un coup de la crosse du revolver donné au visage. Lorsque "Maurice" revient, les deux hommes lui expliquent la situation. Il leur faut rapidement quitter les lieux et Bradley et Allen chaussent leurs bottes et débarrassent leurs valises de tout poids inutile.

"Maurice" les mène alors vers une grange au coin d’un champ et leur dit de ne pas bouger avant son retour. Il revient une heure plus tard avec leur guide, "Juan", portant un gros sac à dos. "Maurice" prend congé en leur disant que "Juan" ne parle que très peu de français, mais qu’il ne devrait pas y avoir de problème. Sur ce, "Juan" et les deux aviateurs se mettent en marche. D’un bon pas, ils suivent une route, "Juan" leur expliquant qu’ils ne s’arrêteront que vers 4 heures du matin. Aux premières lueurs de l’aube, ils arrivent à une petite ferme. "Juan" leur recommande d’ôter leurs bottes et leurs chaussettes et de tenter de dormir allongés sur de la paille dans une grange.

Vers 14h00, ils se réveillent et après que "Juan" leur ait recommandé de ne parler ni à lui ni aux fermiers, on les introduit dans la ferme où ils sont accueillis par un couple qui leur a préparé une omelette et des pommes de terres en purée. Ils se reposent le reste de la journée dans la grange et vers minuit, "Juan" part puis revient accompagné de trois hommes d’environ 30-40 ans. Ils ne parlent pas anglais mais l’un d’entre eux, André, explique qu’ils ont l’intention de rejoindre les Forces Françaises en Angleterre.

Le groupe entame alors l’ascension des Pyrénées, l’aube les voyant atteindre une petite rivière de montagne. L’un des français, FAUBERT, montre l’état pitoyable de ses chaussures légères et ses pieds en sang. Tous se lavent tant bien que mal dans la rivière, puis se restaurent de pain et de fromage et se reposent jusqu’au soir. Vers 20h00, ils se remettent en route, "Juan" ayant procuré de légères sandales à FAUBERT. Ce dernier, après trois heures d’escalade ardue, prend du retard sur le groupe et, malgré ses supplications, "Juan" donne l’ordre aux autres de continuer, abandonnant à contrecœur FAUBERT à son sort.

Après plusieurs heures de marche pénible, le groupe arrive enfin à une ferme où tout le monde se repose. Les deux français rescapés ayant eu du mal à suivre "Juan" discute avec le fermier, lui remet une somme d’argent et Bradley et Allen, repartis seuls avec Juan, apprendront que celui-ci s’est arrangé pour que les deux français puissent rester à la ferme jusqu’à ce qu’ils récupèrent des forces.

La marche épuisante continue sur plusieurs jours, dans la neige et le froid, les deux aviateurs s’encourageant mutuellement lorsqu’ils sont sur le point d’abandonner. Ils atteignent finalement la Principauté d’Andorre et se retrouvent à Andorra la Vella où ils sont conduits à un hôtel et y rencontrent le Señor PEREZ, propriétaire. Ils peuvent y prendre un bain, se restaurer et on leur donne de nouveaux vêtements.

"Juan" va poster une lettre qu’il a demandé à Bradley d’écrire à l’intention du consulat britannique à Barcelone, donnant des précisions sur leur identité et leur situation et annonçant leur départ de la ville le lendemain. Le lendemain soir, ils partent avec "Juan" et sont rejoints en cours de route par deux contrebandiers lourdement chargés. Au matin, le groupe atteint Carasonna ( ? sic), du côté espagnol et Juan leur annonce que, voyageant dorénavant uniquement de nuit, ils arriveraient en trois jours à Barcelone.

La dernière nuit, Allen se blesse sérieusement à la cheville et doit être soigné pendant trois jours dans une ferme. Allen étant suffisamment retapé, ils se remettent en route pendant la nuit et arrivent au matin à une gare d’où ils prennent un train pour Barcelone où ils arrivent vers 11h00 du matin. "Juan" les mène à un café et leur annonce qu’il va les quitter et qu’ils ne se reverront plus. Il leur donne de l’argent, dont une partie pour payer le taxi qui doit conduire les deux aviateurs seuls au consulat, où il leur dit de demander Mrs Harrison.

Arrivés au consulat, Mrs Harrison les reçoit et leur présente le chauffeur du consulat, Dominic. Ils vont loger dans l’appartement de celui-ci et son épouse Carmelita et le lendemain, Dominic les conduit chez le Señor Rodriguez, du consulat, qui les mène se faire photographier avant de les conduire au QG de la police pour y obtenir un permis de séjour.

Tout se passe bien au commissariat et, munis de papiers en règle, ils retournent voir Mrs Harrison qui leur a réservé une chambre à l’Hôtel Majestic. Elle leur remet de l’argent espagnol et leur donne la consigne de se présenter chaque jour au consulat. Elle leur signale qu’avant de partir elle souhaite leur présenter deux autres aviateurs de la RAF arrivés le matin et qui avaient eu des difficultés pour passer en Espagne. C’est ainsi que Bradley et Allen retrouvent le "Bernard" et le "Robin" qu’ils avaient vus chez les TINEL à Paris… et qui leur disent avoir été arrêtés après leur passage à Saint-Jean-de-Luz par une patrouille de la douane espagnole et emprisonnés.

Après plusieurs jours, Bradley et Allen prennent congé de Dominic et Mrs Harrison à la gare de Barcelone et montent dans le train de 21h00 à destination de Madrid. Ils arrivent le lendemain (14 juin ? – voir ci-dessous) à 11h00 du matin et sur le quai, le délégué de l’ambassade britannique, Richard Bartholomew, les accoste puis les conduit en voiture à l’ambassade. Bradley et Allen resteront quelques jours à l’ambassade en compagnie de quelques autres militaires et civils anglais. Tous deux sont ensuite conduits à Gibraltar.

[Le récit de Bradley, fort imagé, mentionne qu’il a vu à l’ambassade un journal daté du 12 juillet, paru deux jours avant leur arrivée à l’ambassade, ajoutant même qu’il avait pensé que cela faisait presque trois mois jour pour jour après leur saut en parachute. Il confirme plus tard qu’arrivé en Angleterre, il a pensé que cela faisait 14 semaines qu’ils avaient quitté le pays… Ceci ne correspond pas aux dates reprises à son rapport d’évasion qui renseigne son départ par avion Dakota de Gibraltar le 21 juin 1943, arrivant le lendemain à Hendon en Angleterre… Le rapport de son camarade Allen reprend les mêmes dates et l’on peut penser que certains détails dans les souvenirs de Bradley se sont un peu estompés après toutes les années.]

Le 16 juillet 1943, Bradley est recommandé pour l’attribution de la Distinguished Flying Medal : Flight Sergeant Bradley' s Recommendation dated 16.7.1943 states 'Flight Sergeant Bradley has taken part in 27 night bombing attacks on Germany and the occupied countries and throughout he has always been most conscientious and reliable. On his 27th sortie on 16th April 1943, his aircraft was hit by anti-aircraft fire and burst into flames, the crew being compelled to abandon the aircraft by parachute. Flight Sergeant Bradley made a safe landing and managed to evade capture by the enemy, ultimately returning to the United Kingdom on 22.6.1943. It is considered that Flight Sergeant Bradley's fine operational record, culminating in an escape from enemy territory fully merits the immediate award of the D.F.M. - Remarks by Station Commander: "Flight Sergeant Bradley's resource and devotion to duty in evading capture and returning to his unit so promptly are most praiseworthy and thoroughly deserving of the Distinguished Flying Medal in recognition."

Tant Ronald Bradley que William Allen se verront tous deux décerner la DFM. Parution dans la London Gazette du 7 septembre 1943 : Distinguished Flying Medal.
903697 Flight Sergeant William George ALLEN, Royal Air Force Volunteer Reserve, No. 35 Squadron.
1377851 Flight Sergeant David Ronald BRADLEY, Royal Air Force Volunteer Reserve, No. 35 Squadron.
In air operations. Flight Sergeants Allen and Bradley have displayed courage and fortitude of a high order.

Bill Allen trouvera la mort à 32 ans le 31 mars 1944 lors d’un vol d’essai à bord du Mosquito MM578 piloté par le F/Lt George E. Hill, également tué dans le crash. William Allen repose au cimetière de Hampstead, son quartier de Londres. C’est sans lui que Bradley assistera à Buckingham Palace à la cérémonie de remise des médailles par le roi George VI et c’est également sans son camarade d’évasion qu’il reverra par après, dans la maison des parents de William Allen, la Comtesse de BIZIEN et sa fille Leslie, arrivées peu auparavant en Angleterre.

Ronald Bradley restera dans la RAF, d’abord comme instructeur et il sera démobilisé à la fin octobre 1946.

Merci à Michael LeBlanc pour ses informations qui nous ont permis de considérer que Bradley et Allen sont les deux derniers aviateurs passés en Espagne grâce à l’aide au moins partielle de Comète.


© Philippe Connart, Michel Dricot, Edouard Renière, Victor Schutters